Le petit caillou dans la chaussure

Blog littéraire d'Alexandra Lahcene

Lu dans le cadre du jury Grand Prix des Lectrices Elle 2020, catégorie roman

« De même que l’amer peut se dissimuler sous le doux, ou l’inverse, dans tout esprit il y a une trace d’insanité, et dans les profondeurs de la folie luit un grain de lucidité ».

Monsieur Chaplin, flâneur nocturne trouve la porte close. Il attend patiemment devant…Sa maîtresse est partie rejoindre le bleu, l’harmonie et la liberté.

Pendant, 10 minutes et 38 secondes, temps au cours duquel le cerveau aurait une activité post-mortem, coincée dans une benne à ordure car assassinée, Leila, prostituée expérimentée sur les rives du Bosphore, va revenir sur les moments de son enfance et sa destinée de femme.

C’est le récit d’une multitude de malentendus de l’existence et des combats d’une vie.

Cette fille d’Anatolie, qui n’appartient ni à sa mère ni à son père, s’insurge contre les conventions, les préjugés, les croyances, habitée par la méfiance.

Elif Shafak dresse le portrait d’une femme obstinée, libre qui fait de sa vie un combat.

« Même si tu te crois en sécurité ici, ça ne veut pas dire que ce soit l’endroit qui te convienne, riposta le cœur. Parfois c’est là où tu te sens le plus à l’abri que tu es le moins à ta place. »

Ce personnage rayonnant, a suivi son cœur lors de sa naissance : elle avait l’odeur des anges qui ne voulaient pas la libérer, a hésité à rejoindre le reste de l’humanité. Sa naissance présageait donc l’avenir : elle deviendra une âme rebelle.

La honte, la culpabilité, le mensonge, le silence, les traditions et superstitions, l’obscurantisme et le patriarcat, la brutalité des hommes vont déterminer la vie de Leyla. Elle ne croit pas au dieu de son père qui a choisi l’honneur et a décidé de consacrer sa vie à répandre la crainte de dieu car « C’est une affaire grave de croire quelqu’un ».

Cette femme déterminée et courageuse va s’enfuir pour Istanbul où elle choisira sa famille constituée de marginaux tellement humains : Nalan, l’ouvrier transsexuel, Jameelah l’africaine exilée, Zaynab122, la naine tasséomancienne, Humeyra, la chanteuse en fuite car violentée par son mari.

Les bannis de cette cruelle société turque vont se battre dans une seconde partie pour la dignité de Leyla et lui offrir l’inhumation qu’elle mérite. Car comme tous les maudits elle doit se retrouver dans le cimetière des abandonnés.

L’auteure, féministe qui lutte pour les droits des hommes contre ce pouvoir obscurantiste d’Erdogan, elle-même exilée, décrit une Turquie qu’elle a du quitter dans un roman jugé obscène par les autorités. Elle dresse un magnifique portrait de femme et raconte avec élégance ces minorités.

Cette première découverte d’Elif Shafak m’a donnée envie de lire ses autres romans qui sont à l’origine de son exil.

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