« Une conception différente du temps s’impose à moi, plus dilatée, moins fractionnée, où les évènements d’hier chevauchent ceux d’aujourd’hui et ceux de demain. Pour ce qui est de vivre, seul le temps présent existe ».
C’est le troisième roman de Didier Castino et encore une fois je suis séduite par un livre publié par la maison d’édition Les avrils.
C’est l’histoire d’un couple, Hervé et Blanche. Ils sont marqués par une évidence : la lutte, le combat, la défense de leurs valeurs. Le monde dans lequel ils vivent est en crise et est caractérisé par une grande violence.
Un matin du premier jour d’une guerre dont on ne sait rien, Blanche part comme à son habitude et ne sais pas qu’à 18h22 elle ne répondra pas au téléphone lorsqu’Hervé l’appellera car le balcon d’un immeuble s’effondrera sur elle.
« Je pense au Balconde Genet et à celui de Juliette, et au Balcon en forêtque tu aimes tant. Tout cela nous tomberait sur la gueule ? Tu as raison, c’est impossible…Et celui de Baudelaire, Que l’espace est profond ! Que le cœur est puissant !Plus fort que tout, plus solide, bien accroché. Nous avons dit souvent d’impérissables choses.Je le relis et découvre ce que je n’avais pas lu. En me penchant vers toi, reine des adorées, / Je croyais respirer le parfum de ton sang.Oui un balcon vigoureusement ancré dans nos mémoires. Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison ! L’ouvrage est indestructible, fixé pour l’éternité. Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses… »
Hervé ne savait pas qu’il comptait à rebours les dernières heures d’une guerre intime que sa vie allait basculer non pas à cause de cette guerre qu’ils redoutaient tant mais de la perte de l’être aimée.
Il va devoir cheminer devant cette catastrophe d’une extrême violence et se construire face à ce deuil.
Un processus de lutte est en marche : celle contre le renoncement, le déterminisme et l’acceptation.
Continuer à vivre, et non pas survivre, exister malgré ses doutes et sa colère…
« La violence de ta chute n’a d’égale que la violence du mot, elle se hisse malgré moi à la hauteur du malheur du monde. Le dépasse. »
J’ai été bouleversée par la puissance des mots de Didier Castino, le parti pris quant à l’énonciation de son personnage principal, cette habileté à confondre, enchevêtrer les perspectives, les dimensions à différentes échelles (intimes et unanimes). La prise de conscience d’Hervé face à cet amour perdu, la dimension symbolique de la mort de Blanche sont bouleversantes.
« Balcon balustre pan de mur, voilà des termes qui entrent dans une nouvelle résonnance. Les mots n’ont plus de sens après toi. J’oublie tous les balcons, j’oublie l’espace intime et les alcôves, tous les soupirs et les murmures, les baisers suspendus, les paysages fabuleux sous nos regards élevés. J’oublie la puissance et le vertige qui nous habitent dès qu’on s’élève. On n’est rien. »