« On ne naît pas femme, on le devient », Simone de Beauvoir.
Camille Laurens nous propose ici un texte essentiel, à la fois délicat, ironique et intelligent.
Elle manipule le verbe avec talent et joue sur la sémantique, la sémiologie et le signifiant pour inviter ses lecteurs à prendre conscience et nous interroger sur ce qu’est « être femme ».
Voici donc un très beau récit sur la condition des femmes dont leur existence est guidée par les mots.
La force de l’incipit présage d’une narration extrêmement bien menée et construite et révèle cet inconscient dans la langue qui prédestine le sort de cette future femme.
L’auteur décline l’évolution d’une femme à travers trois périodes et de la société et ce qu’elle véhicule. :
Une première période, dans les années 60, où les femmes sont sujettes à la soumission au patriarcat : elle commence par la naissance, puis l’enfance à l’adolescence. On est fille par défaut dans une famille où on voulait absolument avoir un garçon. Une fille c’est « bien aussi » ! Une fille c’est « un garçon blessé ». Elle est affiliée, elle est dépendante.
La deuxième période et celle des années 60-70 et les premiers mouvements de la libération de la femme avec la contraception et la loi sur l’IVG. Apparaissent les premières luttes.
Enfin la troisième : abordent les relations sexuées et la libération de la parole. Les filles d’aujourd’hui transmettent à leur mère leurs choix.
Toute la subtilité réside dans l’utilisation des pronoms : le JE, le TU le ELLE.
Le « tu » est utilisé quand il s’agit de raconter un enfantement, le « je », évoque le renouveau, la construction et Le « elle » raconte ce corps abîmé, la sexualité.
J’ai été happée par ce roman et cette écriture et je vous conseille vivement de découvrir si ce n’est déjà fait cette histoire sur le destin féminin.
« Ta benjamine ne meurt qu’une fois, mais … Tu meurs dans le regard de ta mère, quine te voit plus. Tu meurs dans le regret de ton père, qui n’y croit plus. Tu meurs dans la jalousie de ton aînée, qui rêve toujours de te faire ta fête. Tu meurs même dans la mort de ta sœur, puisque tu ne la remplaces pas. »
« Garce. Le mot revient et la hante. C’est une injure. Mais n’est-ce pas d’abord le féminin de garçon ? Tout ce qui est féminin déçoit, déchoit, elle le sait désormais. Garçon c’est un constat. Garce c’est un jugement. Le mot, en changeant de genre, devient mauvais. Mais il a des pouvoirs. »
« La perte de chance, ici et maintenant, c’est d’être quelqu’un qui ne choisit pas, qu’on manipule, le jouet d’une mensonge, l’objet d’une machination, l’enjeu d’un accord tacite, une personne dont le sort, la vie, le malheur et la joie, se décident à côté d’elle, en dehors d’elle, malgré elle, chez les parents, les maîtres et les hommes. La perte de chance, tu vois, c’est d’être une fille ».
« Elle ne veut pas être juste un garçon, elle veut être un certain garçon. Un garçon certain. Un garçon manqué ? Non. Disons plutôt : un garçon manquant. »