Le petit caillou dans la chaussure

Blog littéraire d'Alexandra Lahcene

« C’était presque le silence, le gâchis du monde ».

Quelles retrouvailles Julie ! Tu m’avais éblouie avec ton second roman « Simple » et lorsque j’ai refermé celui-ci j’ai été de nouveau conquise par ton talent !

Julie Estève raconte ici une existence bâtie autour de silence, de pertes de deuils et de folie.

Il est impossible que ces quelques lignes soient à la hauteur de ce bijou à la fois pudique et intense, habité par la rage de son personnage, Cassandre.

Elle est le chaos. 

Cette écorchée aux cheveux de Satan compare son visage à un parking de supermarché tandis que celui de sa moitié serait à l’image du Taj Mahal, ce monstre habitée par une pulsion de mort sur les animaux, ce « paillasson du bahut » sort de l’enfance, ce pays maudit. Ce monstre qui appartient à la solitude doit se protéger. Mais de quoi ? De qui ? D’elle-même ? A-t-elle précipité le monde dans le chaos ? Va-t-elle-tuer son père cet être transparent, cette « déchetterie » et par la même occasion décimer la terre entière à l’aide d’un perroquet bleu ?

Par une maîtrise prodigieuse de la métaphore et de la langue, des mots, de la syntaxe, Julie Estève raconte l’indicible, un naufrage, libère les paranoïas d’une femme qui pourrait être n’importe quelle femme et oh combien je me suis retrouvée en elle !

Cassandre bascule car elle est hantée par la terreur de la perte. Et la perte ultime n’est-elle pas la mise au monde, cette étape si violente de la vie, cette petite mort qui fait ressurgir les fragilités, cette prise de conscience que tout nous échappe et qu’on ne maîtrise rien, celle qui fait émerger ses peurs ancrées depuis cette enfance perdue au côté du cadavre de son grand-père en mangeant de la confiture de mûres.

Cassandre fait des rêves de papillons qui défigurent les hommes, de rats gros comme des cochons, de ciel, de raz de marée, de crapauds, d’avions, de chiens qui dévorent leurs maîtres.

Elle est l’apocalypse.

Un calendrier d’évènements rythme sa vie et détermine son destin tragique.

Elle va devoir soigner son cœur et nous allons la suivre dans cette tragique suite inexorable de deuils qui jonchent sa vie qui vont l’enfermer dans sa prison mentale et dans son silence.

Cinq prophéties vont déterminer sa vie.

« Le monde s’effondrera en 2023, l’été de tes quarante-deux ans ».

« Tu auras un fils un jour, et tu le perdras ». 

Cassandre est prise au piège, sans espoir, « son destin est une tombe ».

Et pourtant il émane de ce récit une incroyable lumière, une poésie ! 

Cassandre se fait ressusciter par Jonas, Samuel, pépé et une île qui a soigné tous ses deuils dans laquelle elle se réfugie pour se protéger du malheur, des souffrances du monde et des violences qui l’entourent.

« Nous sommes l’amour. Nous sommes un amour immuable, puissant, infini. Maintenant il n’y a que l’amour et le silence »

Mais elle meurt lentement.

« le monde a chu et personne ne me croit ».

« un fou ne fait jamais que réaliser à sa manière la condition humaine » J.P. Sartre, l’être et le néant.

« La vie se perd, sans bruit, n’importe comment, c’est compris. »

Magistral !!!!!!!

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