Le petit caillou dans la chaussure

Blog littéraire d'Alexandra Lahcene

« Désormais blotti dans cette chambre de 12 m², l’adolescent n’habitait plus que le bas monde. Celui que l’on doit dissimuler. Sans ciel. Les ailes collées. »

C’est à votre tour de découvrir Paul, sa vie en dormance, celle qui l’attend, le déploiement de ses ailes, la libération de son étreinte, de vous laisser submerger par le souffle puissant de ce très beau roman.

« Les yeux d’Ana sont une promesse et Paul se cogne à la forme de leur désir.»

2003, le roman s’ouvre sur une page de bonheur : Paul se marie et va devenir père. Il ferme les yeux. La surprise d’Ana les lui fait s’ouvrir sur cette enfance qu’il aura portée comme une blessure.

« Depuis que la poche des eaux s’était rompue, son fils avait grandi avec le manque. Celui qui, dans le même mouvement, dénude et endurcit.
La chair d’un ventre ne suffit pas à donner naissance. »

Paul, est une anomalie, une erreur dès sa conception. Bègue, frêle, il est seul.

Et puis vient l’été 1983 où il rencontre le fils de la femme au dos cabossé, celui qui a posé ses bagages dans un mobile-home, au camping, à 200 m de la famille de Paul.

La vie sans transgression se confronte à la vie de bohème.

Le misérabilisme de Paul va être happé par la lumière diffusée par Joseph.

« C’était un déchaînement, un acharnement, du noir dégueulé de leurs petites tronches de rats, un jeu de massacre. En quelques jours, Paul apprit ce qu’est la cruauté. Celle qui dissout lentement l’être et lui instille l’envie de crever. »

Paul va aimer ailleurs, là où on ne le voit pas mais ses désirs seront purifiés, son amour sera décrassé dans les toilettes du collège, dans les couloirs, au coin des rues, gestes guidés par la cruauté et l’intolérance.

Paul va oublier… va renoncer…

« C’est trop fatigant de n’avoir ni branches ni racines. Dans l’existence, il faut parfois faire table rase de sa propre histoire pour pouvoir devenir quelqu’un, rejoindre une vie qui attend. »

Sophie de Baere sonde une nouvelle fois, avec toute sa sensibilité et son talent, le thème de l’amour interdit. Ses personnages aux vies brisées sont attachants, remplis de pudeur, de sensibilité ; ils se fourvoient, dans cette vie guidée par la fatalité.

Elle parvient avec finesse à nous raconter l’indicible, la violence avec tant de subtilité, délicatesse.

Elle sait parler d’amour tout comme dans « les corps conjugaux » et elle parvient à chaque fois à nous happer jusqu’au bout, jusqu’aux derniers mots et on n’en ressort jamais indemne.

Ici l’amour conjugal, l’amour filial, le désir sont extrêmement bien exploités.

Je vous laisse découvrir ce roman emprunt d’une grande sensibilité et pourtant si puissant !

Une réflexion sur “Les ailes collées.

  1. Jocelyne Legrand dit :

    Dans mon top 10
    J’y ai retrouvé ce qui m’avait séduit dans les corps conjugaux.
    La dualité des personnages, leurs conflits intérieurs, leur sensibilité
    Et leur tristesse de devoir se conformer à une société qui juge et ne comprend pas
    Très belle chronique

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