« Je suis en colère contre la terre la vie le monde, et le monde je jure je lui ferai la peau. La peau du monde je la tendrai sur un cadre, je la raclerai jusqu’à la dernière miette de sa chair et je l’exposerai devant chez moi pour que l’on sache ce qui se passe quand on me fait du mal. La peau du monde ce sera mon trophée, je la brandirai comme on brandit un crâne, je l’assécherai comme on sèche un cœur ce sera un lambeau une squame une toile et sur cette toile je réécrirai quelque chose avec le sang de mes veines avec le sang de ma haine, la peau du monde ça sera mon vêtement. Je lui marcherai dessus je la piétinerai jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle, je lui dirai qu’il ne fallait pas – il ne fallait pas me prendre ce que j’aime et maintenant nous sommes là elle et moi ça ne rime à rien, nous sommes là elle et moi il faut bien que les choses adviennent mais ce qu’elle doit comprendre avant tout c’est que c’est moi qui décide et c’est moi qui choisit, et dans cette folie qui me prend je revois la carte chez l’épicier et sur la carte le lac que je ne connais pas et c’est là que j’irai parce que je fais ce que je veux. Parce que le blanc de mes yeux est rouge et ce n’est pas le chagrin, c’est la rage et je sais que je ne réfléchis pas vraiment, c’est cette fureur qui me porte il y a des étincelles dedans ma tête, des soleils devant mon regard et ça m’aveugle et je n’ai plus besoin de voir. Alors je continue la route comme j’avais dit et je presse mon cheval. Là où je vais il y aura bien une solution, une réponse, quelque chose. Si je me trompe je continuerai à marcher en brûlant le monde, derrière moi il n’y aura que des cendres et des enfants qui pleurent et moi je rirai de ces terres calcinées de ces vies qu’on saccage, et je chanterai plus fort pour ne pas entendre les cris et je gueulerai à m’en casser la gorge, la peau du monde ce sera ma vengeance. »
Ce sont des pages comme celles-ci qui font de moi une lectrice éperdue à la recherche de ce souffle envoûtant.
Sandrine Collette sur le fond comme sur la forme nous livre une prouesse.
Elle questionne à travers le monologue de Liam, chasseur trappeur taiseux et sauvage l’instinct paternel.
Tout au long de ce roman le lecteur écoute ce qu’il pense, ce que cet homme, submergé par la colère, ressent à travers ces phrases dépourvues de ponctuation qui s’enchainent.
On le suit dans ce parcours initiatique en apnée, sur ce chemin semé d’embûches et on découvre la poésie du monde sauvage, cette nature, ce refuge, où la fragilité n’a pas sa place.
Sandrine Collette décrit dans ce roman de territoire avec justesse et poésie cette nature humaine : elle traque, survit, avance vers la liberté mais surtout aime d’un amour viscéral.
« Pour l’instant le bleu de ses yeux ressemble à une tâche de myrtille sauvage, celles qui couvrent les sous-bois au début de l’été et que je rapporte à Ava pour qu’elle les mette en bocaux ».
« J’ignore ce qu’ils se disent, je pense qu’ils ne sont pas dupes il n’y a pas de message dans nos hurlements, et pourtant ils écoutent et après ils reprennent et c’est une étrange symphonie ces bruits de la terre qui nous lient et nous dévorent d’amour, c’est une chose si forte à la limite du supportable ».
Alors à votre tour écoutez cette symphonie qui pour ma part m’a bouleversée !