Dans un premier roman, espiègle, subtil, créatif, Polina Panassenko manie avec habileté la langue pour nous parler de la langue.
Polina est née au sein d’une famille soviétique qui quitte Moscou pour s’installer à Saint-Etienne.
A l’obtention de la nationalité, Polina changera de nom et deviendra Pauline. Et c’est dans ce décor de lutte judicaire ubuesque pour récupérer ce prénom de naissance, que l’auteur raconte le cheminement de cette petite fille russe dans ce pays d’exil.
Elle sera écartelée entre la France où elle devra apprendre à apprivoiser sa langue, dompter les mots sans accent à la JP Pernaut, comme dans les publicités qu’elle visionne à la télévision ou à la materneltchik, et La Russie où sa langue maternelle doit être conservée.
Vous l’aurez compris cette quête de prénom est une quête d’identité : comment vivre sans trahir ?
L’auteur ainsi nous embarque dans un jeu de maniement de locutions stylistiques, d’expressions singulières et drôles. Elle parvient à aborder ce thème de l’identité avec inventivité et humour et parvient à se défaire des clichés.
Elle manœuvre les mécanismes de la langue avec brio pour décrire cet exercice d’équilibriste : conquérir les mots, s’adapter avec toutes les absurdités que parfois l’intégration impose mais ne pas oublier.
Il faut donc tenir sa langue avec toute la polysémie que l’on peut y mettre.
C’est à lire !!
« C’est un héritage. Savoir que sa mère était libre de porter son prénom de naissance. C’est celui-là que je veux transmettre, pas celui de la peur.
Je veux croire qu’en France je suis libre de porter mon prénom de naissance.
Je veux prendre ce risque là.
Je m’appelle Polina. »
« Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier œuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l’abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m’amène de nouveaux mots, vérifie l’état de ceux qui sont déjà là, s’assure qu’on n’en perd pas en route. Elle surveille l’équilibre de la population globale. Le flux migratoire: les entrées et sorties des mots russes et français. Gardienne d’un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules, se glissent sous la barrière. Ils s’installent avec les russes, parfois même copulent, jusqu’à ce que ma mère les attrape. En général, ils se piègent eux-mêmes. Il suffit que je convoque un mot russe et qu’un français accoure en même temps que lui. »
« Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. C’est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins. »
Une réflexion sur “Tenir sa langue.”