Lorsque je m’apprête à lire du Gilles marchand, un incontournable, c’est pour retrouver l’univers qui se dégage de ses bouquins où la fantaisie et l’absurde fricotent avec la gravité.
Même si dans ce dernier roman Gilles Marchand a été, je trouve, plus timoré, il a toujours le don de travestir la réalité en racontant des personnages à la marge et insolites.
Il pourra ajouter à sa liste ce nouveau personnage, narrateur de l’histoire, ancien combattant de la première guerre qui a perdu sa main dès l’automne 14.
Il décide malgré sa blessure de rester sur la zone de combat par culpabilité.
Dans les années 20, le retour à la vie civile est difficile et il estime avoir une dette envers ses camarades de guerre et décide de devenir enquêteur : il se chargera de retrouver les corps, réhabiliter des soldats, permettre l’inscription des noms sur les tombes.
Les soldats se confient, il recueille les témoignages.
Puis Jeanne Joplain le contact pour retrouver son fils, Émile, disparu depuis 1916, car elle est persuadée que ce dernier est vivant.
Il va ainsi mettre le doigt sur des histoires extravagantes, romanesques, fabuleuses à la saveur de contes et découvre cette histoire d’amour poétique, romanesque et épique entre Emile et Lucie.
Et là on se laisse porter par une plume qui manie les mots sous le talent indéniable de Gilles Marchand, compositeur de phrases aux mélodies savoureuses où vous pourrez écouter. Car oui un texte de Gilles s’écoute ! Entendez « le bruissement en la majeur » de la lettre qui tombe dans la boîte aux lettres, les noms de personnages aux consonances familières comme Jeanne Joplin, Paul Macaret , Georges Hérisson, Jean La None, les verbes d’action comme mistinguer, chanaliser, ou bretonner inspirés de noms célèbres que vous avez évidemment reconnu. Il s’est emparé des tics de langage et du lexique de cette grande époque.
Sur un air d’accordéon l’auteur raconte l’histoire mystérieuse de la fille de la lune que nous pourrons ajouter à la liste des personnages fabuleux de l’univers de Gilles, que les soldats voient danser la nuit sur le champ de bataille.
Ce livre est jonché de références musicales, littéraire, mythologiques et on ne peut contester le travail indéniable d’écriture très documenté.
C’est à lire : un petit bijou !
« Certains les insultaient. D’autres leur parlaient. Moi, j’évitais. Ils nous ressemblent trop. Et puis ça se voyait qu’ils étaient perdus, qu’ils avaient peur, qu’ils étaient fatigués, qu’ils avaient des poux tout comme nous. Je ne voulais pas prendre le risque de les trouver sympathiques. Si on avait su qu’un boche c’était rien qu’un Français qui parle allemand, on aurait eu du mal à continuer à leur tirer dessus. »
« On les appelait comme ça parce que c’était des moustaches. Me souviens plus de leurs vrais noms. Y avait p’têt’ bien un Arthur.
– Pardon, vous dites que c’était des… moustaches ?
– Oui, des moustaches. Sans les hommes. C’est rare, mais ça arrive.
– Excusez-moi, vous insinuez que des moustaches se trimballaient comme ça, sans les visages qui vont avec, sans les corps ni rien ?
– Voilà, rien que des moustaches. »
« Ça sert à ça les histoires, à rendre la vie meilleure. On avait les pieds lourds, alors on s’interdisait d’avoir le cœur trop lourd. On ne pouvait pas ajouter les larmes à la pluie, on aurait coulé. Et il fallait avancer. On remettait nos havresacs qu’on remplissait d’histoires d’amour d’un peu tout le monde, ça resservirait toujours. L’amour ça se partage bien, t’en prends un bout, il en reste autant à celui qui t’a raconté l’histoire. C’était facile d’être généreux. »
Oui un petit bijou, un coup de coeur. J’avais du mal à entrer dans l’univers fantasque des livres précédents. Mais celui là avec son côté «timoré» m’a touché droit au coeur.